Olivier Metzner, derrière l'avocat, l'homme secret

Olivier Metzner, derrière l'avocat, l'homme secret

Dans la nuit du samedi 16 au dimanche 17 mars, Olivier Metzner est monté à bord de son bateau et s'est jeté à l'eau au large de l'île de Boëdic qu'il avait acquise dans le golfe du Morbihan.

Son employé de maison a trouvé dimanche matin une lettre dans laquelle il indique dans les moindres détails ses dernières volontés. Olivier Metzner avait 63 ans.

L'avocat était célèbre, l'homme inconnu. Il ne laissait entrevoir qu'une passion pour l'opéra, les grands vins, la mer et le design. Des gouffres et de la solitude de sa vie, nul n'était autorisé à s'approcher. Dimanche, les mots les plus justes ont été ceux de son plus fidèle associé, Me Emmanuel Marsigny : "Olivier Metzner n'a pas su se défendre de lui-même."

Metzner était en revanche bavard sur le professionnel, sacré "avocat le plus puissant de France", qui a compté Loïk Le Floch-Prigent, Jacques Crozemarie,Bertrand Cantat, Dominique de Villepin, Jérôme Kerviel, Françoise Meyers-Bettencourt, le général Manuel Noriega, Martin Bouygues, Jean-Marie Messier et bon nombre de patrons du CAC 40 parmi ses clients.

Au fil des années et des dossiers médiatiques auxquels son nom s'est attaché, il s'était composé un personnage. Un regard bleu vif derrière des lunettes demi-lune, un gros cigare dont il soufflait inlassablement la fumée au visage de ses interlocuteurs, et cette courtoisie sans faille qui faisait rempart. L'ancien cancre qui s'ennuyait en Normandie, dévorait Gide, haïssait sa famille et, tel le Charlus de Proust, se haïssait lui-même plus encore aimait le miroir de la réussite que ce métier lui tendait. Dans le petit monde des pénalistes des affaires, Olivier Metzner a pourtant toujours tenu une place à part. Respecté, redouté, il n'était pas aimé et ne cherchait pas à l'être, fuyant la fraternité parfois factice des grands noms du barreau de Paris.

LE PLUS MALIN

Au début des années 1990, alors qu'explosent les dossiers de fausses factures liées au financement occulte des partis politiques, il est le premier à pressentir l'opportunité qu'offre le marché du pénal financier. Parce qu'il n'est pas orateur et n'a pas le talent d'un avocat d'assises, estiment ses rivaux. Parce qu'il a été le plus malin, admettent les autres. "Parce qu'avec mon bac G obtenu dans un lycée de province, je n'étais pas sûr de moi, que je ne connaissais personne, et que je m'entourais de tous les conseils livresques possibles", confiait-il au Monde en 2008. Mais aussi parce qu'il préfère travailler qu'être seul, qu'il est ambitieux et qu'à l'époque il le cache encore.

Olivier Metzner acquiert vite une solide réputation de technicien de la procédure pénale. Son profil discret, moins marqué que celui de ses confrères du barreau de Paris qui défendent les figures du banditisme, le rend aussi plus fréquentable aux yeux des chefs d'entreprise de l'immobilier, du bâtiment et des travaux publics, qui découvrent les cabinets des juges d'instruction et la prison.

"Je suis devenu l'avocat de Bouygues le jour où l'un de ses proches collaborateurs, qui venait d'être placé en détention provisoire, a croisé dans les couloirs de la prison l'un de ses subordonnés qui en sortait grâce à moi", racontait-il. Il consacre alors toute son attention aux magistrats du pôle financier et des chambres spécialisées et, contrairement à ses confrères, fuit la presse. Il préfère innover, doter son cabinet des technologies les plus avancées, scanne ses dossiers sur ordinateur qu'il emporte en week-end quand les autres avocats en sont encore à éplucher des montagnes de procès-verbaux sur papier.

La première bascule a lieu en 2004 lorsque Olivier Metzner est choisi pour assurer la défense du chanteur de Noir Désir, Bertrand Cantat, poursuivi pour avoir porté des coups mortels à sa compagne Marie Trintignant. Au procès de Vilnius, enLituanie, et dans la passion médiatique qui entoure cette affaire, il s'oppose pour la première fois à Me Georges Kiejman, qui défend la famille de l'actrice. L'avocat abandonne alors sa discrétion coutumière, ouvre les portes de son cabinet, situé dans un très bel hôtel particulier du 7e arrondissement, et prend goût à la lumière.

DANS LE DOSSIER CLEARSTREAM, IL ÉCLIPSE SES CONFRÈRES

La consécration vient un peu plus tard, en 2009, lorsque l'ex-premier ministreDominique de Villepin décide de faire appel à lui pour renforcer son équipe de défense quelques mois avant l'ouverture du procès Clearstream. "On ne faisait pas attention à lui et, tout d'un coup, on s'est retourné, il était partout", constatait l'un de ses rivaux.

Entré tardivement dans le dossier Clearstream, il éclipse ses confrères, Mes Henri Leclerc, Luc Brossolet et Olivier d'Antin. Pendant trois semaines d'audience, il est omniprésent. Dedans, il se montre cruel face à Me Thierry Herzog, l'avocat deNicolas Sarkozy, partie civile, et gagne pour la première fois ses galons de plaideur. Dehors, face aux caméras et aux micros qui se tendent par centaines à chaque suspension d'audience, il révèle une parfaite maîtrise dans l'art de la communication. Aux côtés de l'ancien premier ministre, il a appris, dit-il, "qu'il faut toujours prendre la main et la garder".

La leçon sera retenue. Au printemps 2010, Olivier Metzner triomphe. Devant le tribunal correctionnel de Paris, il défend Jérôme Kerviel contre la Société générale, monte à l'assaut de la banque et du système financier dans un registre provocateur qu'on ne lui connaissait pas. "J'ai une forme de jouissance à surprendre sur ce que, moi, j'ai anticipé", confie-t-il.

Ce jour de juin 2010, Olivier Meztner parle d'or. Tout en menant l'offensive contre la Société générale, l'avocat suit avec gourmandise sur son portable les effets de la déflagration qu'il a provoquée avec la diffusion des enregistrements pirates du majordome de Liliane Bettencourt. Cela fait plus d'un an que Me Metzner défend Françoise Meyers-Bettencourt, la fille de l'héritière de L'Oréal, dans la procédure pour "abus de faiblesse" qu'elle a lancée contre le photographe François-Marie Banier.

Mais ce qui n'était encore qu'une fascinante tragédie familiale est devenu une redoutable affaire politique, dont Metzner se revendique le metteur en scène. "Je planifie tout à l'avance. Quand je communique, les instructions sont respectées : une agence fait un communiqué au jour dit, un journal publie l'info à un autre moment convenu d'avance, pareil pour les radios et les télés", explique-t-il en juin 2010 dans Le Nouvel Observateur.

UN CHANGEMENT DE MONDE

Dans cette affaire, il retrouve Me Kiejman, qui défend Liliane Bettencourt. Les relations, déjà peu cordiales entre les deux avocats, s'enveniment tant que Me Metzner poursuivra son adversaire en diffamation. Avec le dossier Bettencourt, la distance entre Olivier Metzner et ses confrères du barreau de Paris se renforce. L'avocat, qui se fait désormais conduire en Jaguar avec chauffeur aux audiences et dans les cabinets des juges, a changé de monde. Ses honoraires se chiffrent en millions d'euros. Il se sépare de sa superbe gentilhommière en forêt de Rambouillet et acquiert l'île de Boëdic en 2010.

Pendant deux ans, il emprunte chaque week-end le TGV qui relie Paris à Vannes pour suivre la restauration luxueuse de son nouveau domaine de 7,5 hectares, abritant chapelle, maison de maître et longère. On raille la folie des grandeurs d'un avocat d'affaires grisé par le succès. Il laisse dire. Lorsque fin 2012 il met son île en vente, on imagine qu'il a trouvé encore mieux, encore plus grand ailleurs. Il laisse croire. L'avocat Metzner aimait répéter qu'il ne "devait rien à personne". Et certainement pas des explications sur sa brutale décision d'homme.

Source: www.lemonde.fr

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