IVG dans la Constitution : un long combat pour la liberté

IVG dans la Constitution : un long combat pour la liberté
IVG dans la Constitution : un long combat pour la liberté - DR

Au début des années 1970, environ 800 000 avortements clandestins étaient pratiqués en France chaque année et 500 femmes mouraient des suites de ces derniers. Retour sur ces années sombres où les femmes bravaient l’interdit pour leur liberté.

En ce 8 mars, journée internationale des droits des femmes, une cérémonie a officialisé ce vendredi midi l’inscription de l’IVG dans la Constitution.

Ce lundi 4 mars fut en effet une journée historique, car la France est devenue le premier pays au monde à l’inscrire explicitement dans sa Constitution. Après une approbation très large du Parlement, réuni en Congrès au Château de Versailles, résultant à vote favorable de 780 parlementaires, contre seulement 72 voix opposées.

L’avortement a été interdit en France jusqu’en 1975, lorsque la loi Veil a aboli la mesure. Avant sa dépénalisation, nombreuses sont les femmes qui y avaient recours clandestinement. Présentant une multitude de risques médicaux, beaucoup d’entre elles en ont gardé des séquelles à vie, ou en sont décédées.

Une forte disparité sociale

Certains médecins pratiquaient l’avortement, des gynécologues ou des étudiants en médecine, en prenant de gros risques quant à leurs carrières. Des femmes réalisaient sur elles-mêmes des techniques non médicales pour avorter, ou demandaient de l’aide à leurs proches, n’exerçant absolument pas dans le milieu hospitalier.

Dans d’autres cas et bien souvent, c’étaient les “faiseuses d’anges“ que l’on sollicitait. Ces femmes qui étaient recommandées par le bouche à oreille et connues pour pratiquer ces techniques. Dans l’ombre et en toute clandestinité, sur une table de cuisine ou dans une chambre étudiante, avec l’aide d’instruments de torture parfois non stériles, les risques encourus pouvaient coûter chers.

De plus, la plupart des avorteurs demandaient à être payés et à raison de grosses sommes, souvent impossibles pour les jeunes filles. Pouvant aller de 200 000 à 300 000 francs, peu nombreuses étaient celles qui pouvaient les débourser. Ainsi, pour avorter proprement, il fallait avoir les moyens de payer au black des médecins aguerris. Les plus fortunées pouvaient en bénéficier et étaient même anesthésiées.

En plus des disparités sociales, il y avait de fortes disparités géographiques.

Des femmes de divers horizons

Contrairement aux idées reçues, l’avortement n’était pas réservé aux femmes à la vertu légère, puisque les femmes de tous milieux y avaient recours : des mineures, des étudiantes, des mères de famille, des femmes qui avaient des unions illégitimes etc... Bien que celles des milieux les plus aisés n’étaient pas soumises aux mêmes conditions. Face aux risques qu’elles prenaient, ces femmes vivaient dans la honte et dans la peur. En plus des peines morales, elles risquaient des années de prison, pouvant aller jusqu’à 5 ans. Parfois dans leur désespoir, à l’annonce d’une grossesse non désirée, certaines se suicidaient.

DR - Centre Hospitalier de Troyes

Mutilées et stériles

Afin de pouvoir bénéficier d’un avortement à l’hôpital, il fallait subir un curetage mais il n’était réalisable qu’en cas de fausse-couche. Pour ce faire, les femmes devaient provoquer cette dernière, en infectant l’œuf. Elles introduisaient une tige dans l’utérus, ce pouvait être un cintre, une aiguille à tricoter, ou autres. Certaines supportaient une sonde durant plusieurs jours, attendant que l’infection se déclenche et que les saignements soient engendrés. Arrivées à l’hôpital, ces femmes subissaient les jugements et la culpabilisation des soignants, contraintes à faire profil bas, elles souffraient en silence.

Les avortements clandestins réalisés dans de mauvaises conditions entraînaient des infections de toutes sortes et souvent l’infection des trompes, ainsi que des septicémies, hémorragies, péritonites… Dans les pires cas, ces avortements provoquaient le décès de la mère ou la condamnaient à la stérilité définitive. A cette époque, une femme mourrait chaque jour des suites d’un avortement criminel clandestin, quand les autres restaient mutilées à vie.

Plus tard, Harvey Karman, un psychologue et militant américain, a démocratisé une nouvelle technique. Il a popularisé la méthode par aspiration, ne nécessitant pas d’anesthésie, baptisée “méthode Karman“. Cette découverte, dont les conditions d’hygiène sont meilleures, révolutionne l’avortement et permet de faire chuter le nombre de décès.

Une pratique qui a traversé les siècles

Bien avant le 20ème siècle, l’avortement était déjà pratiqué clandestinement et ce depuis l’Antiquité. En France, c’est le “code pénal de 1810 “ de Napoléon, qui instaure le crime d’avortement : toutes femmes ayant volontairement mis fin à leur grossesse et ceux les ayant aidés, risquent la prison.

Au 19ème siècle, deux méthodes sont majoritairement utilisées : l’introduction d’un liquide dans l’utérus (eau de javel, eau savonneuse etc…), ou l’utilisation d’un instrument tranchant destiné à percer la poche amniotique.

Sous le régime de Vichy, la répression est renforcée et l’avortement devient un crime d’Etat, quant aux avorteuses, elles sont guillotinées. A la Libération, la peine de mort est levée mais l’avortement demeure interdit.

Le soulèvement de l’opinion public

Dans une France qui avait accès à la contraception depuis 1967, l’opinion publique divergeait.

C’est le “Manifeste des 343“, parut en avril 1971 dans Le Nouvel Observateur, qui a ouvert le bal. Ce manifeste à l’initiative de Simone de Beauvoir, présentait 343 signatures de femmes populaires ou non, qui s’étaient faites avorter. Parmi elles figuraient Catherine Deneuve, Simone de Beauvoir, Gisele Halimi ou encore Marguerite Duras.

L’année suivante, le procès de Bobigny de 1972 a lui aussi provoqué une vague de revendications féministes. Ce procès était celui de Marie-Claire, 16 ans, tombée enceinte des suites d’un viol. Sa mère l’avait aidé à avorter et la justice les condamnait toutes les deux. “Toutes les femmes avortent, y compris les femmes des députés et les maîtresses des ministres, seulement elles ne le disent pas“, prononçait Gisèle Halimi, l’avocate de la jeune fille.

Lors d’un débat portant sur le sujet de la libération de l’avortement, diffusé sur Actuel 2, Delphine Seyrig prend la parole en tant qu’invité et parle au nom des femmes. Dans un discours criant de vérité, appelant à la dépénalisation de l’avortement, elle cite : “Vous êtes tous des hommes sur ce plateau, il y a des milliers de femmes en France et on est en train de discuter de savoir si on doit donner leur donner la liberté, si elles sont capables de prendre leurs responsabilités (…) on ne nous donne pas l’autonomie de notre corps“.

La libération tant attendue

Le MLAC (Mouvement pour la Liberté de l'Avortement et de la Contraception) fut créé en 1973 pour demander la légalisation de l’avortement. Leurs revendications principales étaient l’abrogation de tout texte répressif en matière d’avortement et une modification de la loi Neuwirth pour rendre la contraception libre d’accès aux mineures.

Il militait aussi pour la prise en charge de la Sécurité sociale de tout acte médical concernant l’avortement et la contraception. L’association procédait notamment à des avortements clandestins et organisait aussi des voyages à l’étranger, pour les femmes voulant avorter dans des pays où la pratique était alors légale.

En 1975, Simone Veil, ministre de la Santé sous Valéry Giscard d’Estaing, défend son projet de loi sur l’IVG (Interruption volontaire de grossesse). Elle s’est battue pour obtenir ce droit et a exprimé ses convictions les plus intimes. Devant les députés le 26 novembre 1974, elle cite : “Je voudrais tout d'abord vous faire partager une conviction de femme, je m'excuse de le faire devant cette Assemblée presque exclusivement composée d'hommes, aucune femme ne recourt de gaieté de cœur à l'avortement. Il suffit d'écouter les femmes ! “. Après son adoption par le Parlement fin 1974, la loi sur l’IVG, dite “loi Veil“, est promulguée le 17 janvier 1975.

E.M.

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