Rencontre avec l'autrice lyonnaise Brigitte Giraud : la vie après le Goncourt

Rencontre avec l'autrice lyonnaise Brigitte Giraud : la vie après le Goncourt
Brigitte Giraud © Pascal Ito/Flammarion

L'année 2022 fut clairement celle de Brigitte Giraud. Son ouvrage Vivre Vite a été un succès éclatant, couronné d'un prix Goncourt mérité et adjugé après quatorze tours de scrutin.

C’est à tête un peu plus reposée que l’autrice lyonnaise, qui a grandi à Rillieux-la-Pape, se livre pour Lyon Femmes. Son attachement à la capitale des Gaules, son livre et son engagement pour faire rayonner la littérature : Brigitte Giraud vit vite, mais prend le temps de nous répondre.

Vous avez reçu le prix Goncourt 2022 en novembre dernier, qui a du vous plonger dans un tourbillon médiatique. Comment vous sentez-vous trois mois après ? Quel impact a eu ce prix sur votre quotidien ?
Je me sens paisible et très en phase avec le livre. À force d'en parler auprès de différents publics, j'en mesure plus précisément les enjeux et je comprends pourquoi il m'a fallu vingt ans pour oser l'écrire. Mon quotidien est une vie faite de déplacements et de rencontres. C'est très intense et vivifiant.

Dans Vivre vite, vous menez une véritable enquête autour des événements qui ont entraîné la mort de votre compagnon Claude. L'évocation de tous ces concours de circonstance rappelle au lecteur la fragilité de l'existence. Aviez-vous conscience en écrivant ce récit intime et autobiographique de sa portée universelle ?
Quand j'écris, je ne suis préoccupée que par la justesse, la construction, le tempo et le sens. Mais ce qui est certain, c'est que l'intime ne m'intéresse que s'il résonne avec le collectif. Ce livre parle d'une époque, du lien aux autres, de la famille, du couple, du travail, de l'immobilier, de technologie, et questionne la cruauté du libéralisme et de la mondialisation.  C'est un roman autobiographique qui cherche du sens, et des partenaires, pour rendre le deuil supportable. Il décline une galerie de portraits, dont chacun des personnages a un lien avec l'accident, et c'est là où l'écriture m'intéresse vraiment dans sa façon de créer des liens. Je n'avais pas anticipé la présence de la Reine Astrid, d'Emilie Guimet, de Stephen King, Paco Rabanne, Tadao Baba (le fabuleux ingénieur japonais qui a créé le moteur de la 900 Honda CBR Fireblade), et même d'Élie Kakou.

Avec cette série de Si, vous êtes amenée à vous, et à nous, questionner sur le sens de la destinée. Cela me fait penser au célèbre conte persan du Vizir et de la mort. Pensez-vous aujourd'hui que l'on n'échappe pas à son destin ?
Je ne sais pas vraiment quelle conclusion tirer. L'enchaînement des faits tels que je les énonce, décline une ligne qui pourrait ressembler au destin. Le livre est un questionnement sur le Mektoub, qui veut dire en arabe "C'était écrit". De l'autre côté, il y a le hasard, un autre mot qui vient de l'arabe et signifie "Jeu de dés". Et puis il y a le déterminisme, lié à la condition sociale, aux mécanismes de l Histoire, à l'appartenance à un lieu, un système politique et économique. Nos existences sont le fruit de nombreux facteurs.

Brigitte Giraud © Pascal Ito/Flammarion

Recevoir ce prestigieux prix littéraire suite à la parution de votre histoire  d'amour avec Claude, n'est-ce pas un ultime signe ?
Je ne sais pas. Je me questionne. Je ne suis pas sûre d'aimer les signes trop voyants.

Votre roman est également un formidable focus sur l'époque des années 80-90, sa culture et son mode de vie. Avec une place particulière pour la musique, la passion que Claude vous faisait partager. Êtes-vous, 20 ans plus tard, toujours autant ancrée dans votre temps ?
Vivre vite est une focale sur les vingt dernières années du siècle dernier. Juste avant le grand saut dans le tout numérique. J'ai le sentiment d'être toujours pleinement ancrée dans mon époque, la musique, le cinéma, la littérature, les combats idéologiques et politiques à mener.

Lyon a également une place importante dans Vivre vite. Que représente aujourd'hui notre ville pour vous ?
C'est une ville que j'aime, tout à fait à ma mesure. Apaisante et stimulante. Même si la pression immobilière devient insupportable (ce n'est pas nouveau) et redessine trop vite le paysage. 

Deux auteurs lyonnais, Emmanuel Ruben et Carole Fives, faisaient aussi  partie de la première sélection du Goncourt. Les connaissez-vous ? Y a-t-il une scène littéraire à Lyon ?
Oui, je connais bien Emmanuel Ruben et Carole Fives, et j'apprécie énormément leur travail. Nous avons fait route commune pendant les étapes du Goncourt des lycéens à l'automne dernier, ce qui crée des liens.  Bien sûr qu'il y a une scène littéraire à Lyon. De nombreux écrivains y vivent, y travaillent, le plus souvent en toute discrétion. De nombreuses librairies indépendantes permettent une diversité de propositions aux lecteurs.

Propos recueillis par D. S.

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